Titus et Flavia
Il faudra qu'une voix porte ces mots d'amour
Que la cendre étouffa dans ma bouche en ce jour.
Que l'oreille avertie d'un poète au cœur tendre,
Au-delà de ce temps, puisse un jour les entendre!
Pas un cri, pas un son ne sortit de ma gorge.
C'était Vulcain là-haut qui hurlait dans sa forge.
Ma voix fut suspendue dans le vide béant.
Ses vociférations la vouaient au néant.
Le dieu des forgerons arrachait aux entrailles
De la terre une armée en furie de pierraille
Et de feu qu'il jetait par-dessus son épaule.
Mon univers soudain basculait sur ses pôles.
La terre avait perdu son immuable assise;
Son écorce exsudait des vapeurs âcres et grises.
Il n'y avait plus d'air dans l'air, tout était fait
De poussière et d'odeurs aux funestes effets.
L'enfer montait au ciel et perdait la boussole;
La nuit ruinait le jour en retombant au sol.
La mer même s'était retirée de la côte.
Palais, temples, maisons s'écroulaient sur leurs hôtes.
Que n'avais-je écouté plus tôt l'inclination
De mon coeur et traduit pour elle ma passion?
Depuis toujours j'aimais Flavia sans le savoir.
J'en usais comme un bien que je pouvais avoir.
Sa famille servait la maison de mon père,
Œuvrant avec constance à la rendre prospère.
Elle y avait grandi en même temps que moi,
Nos mères avaient compris l'objet de nos émois.
Nos corps s'étaient connus à l'âge où ils s'éveillent;
Sa peau contre la mienne était une merveille.
J'aimais passer mes nuits autant qu'il fut permis
La courbe de son sein dans ma main endormie.
Tout avait la suave innocence du geste
Que l'amour donne aux corps quand il se manifeste.
Ma voie, certes, empruntait la lignée patricienne
Mais mon âme sans cesse inclinait vers la sienne.
L'aveu de cet amour inné involontaire
Devint à cet instant si impossible à taire
Qu'un tremblement saisit le tréfonds de mon être
Pour que je le confie avant de disparaître.
Comme le feu roulant sur le flanc du Vésuve,
Les ardeurs de mon cœur s'exhalaient par effluves.
Quittant le rang auquel j'avais été fidèle
Je me précipitai, suffocant, auprès d'elle.
Dans cet effondrement implacable du monde
La création montrait sa nature profonde :
Le véritable amour est la force première
Qui unit dans son lit l'esprit à la matière.
Je me blottis contre elle, enveloppant le centre
Où tressaillit la vie : notre enfant, dans son ventre.
Le grand œuvre opérait sur nous son alchimie.
Notre amour survivrait au coeur d'une momie.
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